Châteaux de Bourgogne

Vauban et Roger de Rabutin: l’un et l’autre bourguignons, contemporains, officiers de Louis XIV, ayant vécu chacun plus de 70 ans, la comparaison s’arrête là… Un peu plus de 50 kilomètres séparent leurs lieux de vie. Leurs visites vont nous permettre de comprendre qui étaient ces deux grands personnages.

LE CHÂTEAU DE BAZOCHES, RÉSIDENCE DE VAUBAN, GUERRIER ET HUMANISTE

A mi-pente d’une des nombreuses collines du paysage morvandiau, au cœur d’un magnifique parc, nous découvrons la façade et l’immense escalier du château de Bazoches, classé au titre des monuments historiques depuis 1994.

Ancien poste romain dominant le paysage jusqu’à Vézelay, le château féodal de Bazoches fut acquis en 1675 par Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707), grâce à une gratification que lui accorda Louis XIV après le siège de Maastricht. Aujourd’hui il en reste les tours du XIIe siècle. Tout au long de nos déambulations, nous apparait la personnalité de cet homme hors du commun, grâce aux nombreux témoignages que les propriétaires actuels, ses descendants par sa fille Charlotte, ont mis en valeur.

Pourquoi une basterne, ou chaise muletière dans le hall d’accueil? Cette litière aménagée en bureau permettait à Vauban de travailler pendant ses voyages, de chantier en chantier, sur tout le royaume. On estime qu’il a réalisé 180 000 km durant plus de 50 ans à raison de 4 km à l’heure ce qui ne lui laissait que peu de temps de présence au château.

La galerie, grande pièce de 150 m2, ne servait pas aux fêtes d’apparat ni aux bals. Vauban, assisté d’ingénieurs et dessinateurs, l’utilisait comme cabinet d’études et de conception. Lui et son équipe étaient chargés de mettre en oeuvre le système de défense du royaume. L’artillerie rend caduque les hautes fortifications médiévales. Le roi de France, étant devenu le seul souverain du territoire, doit protéger ses frontières. C’est pourquoi Louis XIV a confié à Vauban cette immense tâche. Celui-ci imagina la fameuse « ceinture de fer », renforcée au nord par une double ligne de fortifications, pour faire de la France le « pré carré » du roi. Il organise, avec méthode, ce système de défense, plus vaste que la ligne Maginot et désormais patrimoine sans équivalent dans le monde, si ce n’est la grande muraille de Chine…

Nous admirons son dernier chef-d’œuvre, la forteresse de Neuf-Brisach près de Colmar, une de ses douze réalisations classées au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2008. Sa maquette montre tout le génie militaire du maréchal mais aussi ses compétences d’urbaniste et d’architecte. Avec ses fortifications basses et bastionnées comme cela existait déjà en Italie, la citadelle, urbanisée à l’intérieur, est complètement dissimulée et sur-protégée par le doublement des bastions avancés.

Une carte de France des réalisations de Vauban recense 300 ouvrages dont 9 villes créées de toutes pièces. Maître incontesté de l’architecture militaire, expert en poliorcétique (ou l’art d’assiéger ou défendre les villes), Vauban n’a vu aucune de ses places fortes tomber. On disait que: « ville assiégée par Vauban, ville prise; ville fortifiée par Vauban, ville imprenable ». Même en 1871, Belfort résista aux prussiens grâce à ses fortifications.

On ne peut qu’être impressionné par l’armure du grand guerrier. Les impacts, visibles, nous montrent que celui-ci montait jusqu’au front lors des sièges. D’ailleurs, une blessure au visage reçue lors du siège de Douai apparait dans tous ses portraits. Il était aussi très soucieux de ménager la vie des hommes. Ce courage et cette compétence lui ont valu de nombreuses gratifications de la part du roi. À la fin de sa carrière, en 1703, il fut nommé maréchal de France.

Nous traversons plusieurs bibliothèques, riches de milliers de livres, la majorité portant sur les sciences et les arts. Vauban était un homme très cultivé, ayant une vision scientifique, voire mathématique de la réalité. Ces qualités lui donnaient toute autorité lors des sièges qu’il dirigeait. Il fut reçu à l’Académie des sciences en 1699. Nous nous arrêtons devant un exemplaire de la « Dîme royale », publié en 1706 sans autorisation et nom d’auteur la veille de sa mort. Vauban y proposait un impôt sur le revenu unique, sans exemption pour les classes privilégiées. L’ouvrage fut censuré mais Vauban ne sera jamais inquiété directement. Les appartements sont moins austères, notamment la chambre à coucher, vaste et très lumineuse dont le lit est recouvert d’un magnifique couvre-lit en soie et laine.

Nous terminons la visite par son cabinet de travail situé dans l’une des tours du château. Cette petite pièce très simple de forme pentagonale, nous étonne par son plafond aux oiseaux, décor très bucolique et surprenant pour un chef de guerre. Il écrivait beaucoup. Les Oisivetés, son oeuvre majeure, en 12 tomes, est un ouvrage très sérieux et très dense malgré son titre. Il rassemble de nombreuses études se rapportant aux problèmes agricoles, économiques, politiques et fiscaux de son époque.

Ce précurseur des Lumières, humaniste visionnaire fut inhumé dans l’église de Bazoches. Napoléon 1er qui portait une grande admiration pour l’illustre personnage, fit transporter son coeur aux Invalides en 1808.

LE CHÂTEAU DE BUSSY-RABUTIN, EXIL DE ROGER DE RABUTIN, OFFICIER ET LIBERTIN

L’occupant le plus célèbre de ce château fut Roger de Rabutin, comte de Bussy (1618-1693). Il était cousin de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné et petit fils par alliance de Sainte Jeanne de Chantal.


En arrivant par la face sud, nous nous trouvons devant un château aux styles très contrastés. Deux tours du XIIIe siècle flanquées de fausses braies (système de défense avancée qui permettait de circuler le long de l’enceinte) et de douves sont les seuls vestiges du Moyen Âge. François de Rabutin, aïeul de Roger, achète le château en 1602. Il construit le logis, élégant avec ses décors, niches et balustres, sur trois niveaux (rez-de-chaussée, étage et comble). Cette façade, de couleur claire, contraste avec les toits en ardoise et les tours défensives. Très habilement agencé, flanqué de deux nouvelles tours, le château présente une ordonnance équilibrée. En 1929 l’État en devient propriétaire. Le château est classé monument historique en 2005.
Roger de Rabutin aurait pu ne jamais vivre dans ce château mais sa liberté de conduite, son impertinence vis à vis de la cour lui valurent deux embastillements et 17 ans d’exil dans ce lieu.

En attendant un improbable retour en grâce, le comte s’attelle à réaliser un décor intérieur raffiné afin de recréer l’illusion des fastes de Versailles dont il a la nostalgie. Lorsqu’on visite ses appartements, on découvre progressivement la personnalité complexe de notre hôte. L’ antichambre, cette grande pièce qu’on pourrait dénommer le salon des hommes de guerre, est recouverte d’une soixantaine de portraits d’illustres capitaines de l’armée française, de Duguesclin jusqu’à… Bussy-Rabutin. Le comte était en effet un militaire chevronné ayant eu l’honneur d’atteindre le grade de lieutenant général des armées et ayant toujours espéré devenir maréchal de France.

Lorsqu’on pénètre dans sa chambre le décor change complètement. Très élégant, un lit trône au milieu de la pièce et le mur est tapissé de nombreux tableaux de belles femmes, notamment des maîtresses des rois de France et un excellent portrait de Mme de Sévigné. Cette pièce où le rose domine évoque très nettement le penchant du comte pour la gent féminine ce qui lui vaudra sa déchéance.

Son cabinet, circulaire, situé dans la tour dorée, est la pièce la plus intime mais aussi la plus riche et la plus décorée. C’est un des plus beaux cabinets de l’époque de Louis XIV. Sur les murs, nous admirons bon nombre de portraits de dames de la cour qui ont été réalisés dans des ateliers versaillais, suite aux sollicitations du comte. Mais ce qu’elles n’ont pas vu c’est que sous chacun des tableaux, il a fait inscrire quelques phrases bien senties ! On admire aussi d’autres portraits allégoriques comme celui du comte en empereur romain ou en Hercule. De même, le plafond, d’origine, est composé de caissons peints représentant notamment les saisons. Elles symbolisent sa grand-mère (hiver), sa mère (automne), sa première épouse (été) et sa seconde épouse (printemps).


Sans oublier la galerie, toute cette débauche de portraits et de pamphlets, dans cet endroit reculé, traduit une autre face de sa personnalité: l’impertinence de son art épistolaire. Esprit vif, espiègle cousin de la marquise de Sévigné, avec qui il entretenait une impressionnante correspondance pendant plus de quarante ans, il s’est fait très vite remarquer dans les salons. Avec la marquise, ils inventent un style, le rabutinage ou l’art de clouer le bec à son correspondant grâce à la plus belle tournure de phrase et la plus belle pique possible. Il devint un écrivain réputé, nommé à l’Académie Française en 1665.

Mais un de ses pamphlets causera sa chute : souhaitant divertir sa maîtresse, il rédige l’Histoire amoureuse des Gaules, dans laquelle il réalise une vaste critique de cette société aristocratique qu’il côtoyait et des ses mœurs débauchées. Très vite, le livre échappe à son contrôle. Et ce fut la fin de sa vie en société.

Ces deux bourguignons de caractère ont finalement beaucoup de points communs: l’intelligence, le courage, la lucidité et la franchise sur la société de Cour. Cette franchise leur valu une certaine disgrâce mais n’entacha pas leur volonté d’exister tels qu’ils étaient. Ils nous lèguent un riche héritage concernant l’histoire de leur époque, la France du Roi Soleil.

Myriam Champeau

Retour en haut